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Dernière mise à jour : 2 avr.




Le nouveau Moyen-Orient présenté par Benyamin Netanyahu à l’ONU en septembre 2023 fait écho au Grand-Moyen Orient de George W. Bush Jr avant l’invasion de l’Irak. Le Premier Ministre israélien y présente une carte afin d'illustrer son discours. En vert, les États arabes de la région, partenaires ou futurs partenaires d'Israël. Parmi ces puissances : Soudan, Égypte, Jordanie, Arabie saoudite, Bahrein. Autrement dit, tous les États qui ont signé des accords avec Israël plus une puissance amenée à le faire : l’Arabie Saoudite. Les autres pays de la région, Liban, Yemen, Syrie, Irak, Iran, d’une couleur neutre, ne sont pas mentionnés. En bleu marine apparaît Israël, non pas sous ses frontières actuelles mais englobant l’ensemble des territoires palestiniens.


Netanyahu a pour objectif principal en 2024 la normalisation des relations avec l’Arabie Saoudite. Un enthousiasme pour l’État d’Israël et pour son plus fidèle partenaire : les États-Unis. Juste avant d’entrer en campagne, Joe Biden se rêve en effet en interlocuteur privilégié qui rapprocherait les deux pays, pour renforcer considérablement la politique d’endiguement autour de l’Iran, stabiliser un peu plus la région et faire un pied de nez à la Chine qui avait remporté une victoire diplomatique en permettant le rapprochement Arabie Saoudite/Iran en 2023. Une normalisation qui prendrait différentes formes : économique, énergétique, technologique, sécuritaire et militaire. Enfin, la question palestinienne, point d’achoppement entre les deux nations, par ailleurs déterminées à lutter contre l’ennemi/adversaire commun, l’Iran, pouvait espérer être résolue.


Puis, le 7 octobre 2023.


Les attaques du Hamas à la frontière entre Israël et Gaza ont tout remis en cause. La réponse israélienne déterminée contribue une nouvelle fois à transformer la région. Car, si les populations des pays arabes soutiennent en masse le combat des palestiniens, leurs gouvernements jouent depuis longtemps un jeu d’équilibristes, entre soutien à la cause et au plan Abdallah de 2002 qui prévoit la création d’un État palestinien, et réalisme, qui fait d’Israël un partenaire incontournable pour le développement de leurs économies. Alors que ce dernier a déjà signé plusieurs accords de paix dans la région, seuls les Émirats Arabes Unis ont condamné les attaques du Hamas. Un caillou dans la chaussure des accords d'Abraham. Et le rapprochement avec l'Arabie Saoudite, tant souhaité, est au point mort.



UN RAPPROCHEMENT DANS LES INTÉRÊTS DES DEUX PARTIES



Le jeu des alliances est le corollaire des relations internationales. Au Proche-Orient débarrassé des empires occidentaux, les différents acteurs cherchent désormais à profiter de l’expansion des pays du « Sud Global », ces États au fort potentiel qui cherchent à tout prix à s’étendre économiquement et souhaitent s’affranchir des logiques de blocs qui les ont longtemps contraints à jouer les seconds rôles.


Dans ce contexte, la volonté du royaume saoudien de prendre les rênes du monde arabe et de s’affirmer en leader régional passe par sa modernisation, ce que le prince héritier Mohammed Ben Salman a bien compris. Son modèle économique est basé sur le plan « Vision 2030 » qui cherche à attirer des investisseurs étrangers, diversifier une économie encore trop dépendante des hydrocarbures, investir dans l’immobilier et les giga-projets (tels The Line). Une "vision" qui nécessite des partenaires régionaux et que les tensions et les guerres ne feraient que ralentir. Le pays, engagé dans une guerre au Yemen qui l'a affaibli, se doit d'en être conscient.


Cette démarche internationale ne peut s’inscrire sans un partenariat avec une puissance telle qu’Israël, et donc sans sa reconnaissance. Pays riche et démocratique, longtemps isolé, l’État hébreu est une évidence pour une Arabie Saoudite telle que l’imagine MBS : forte face à l’Iran et aux Houthis, ouverte aux riches investisseurs, soutenue par les États-Unis, commerçante avec la Chine, terre d’accueil des musulmans du monde entier grâce aux sites les plus saints de l’Islam, et gérant la production mondiale de pétrole à l'OPEP+ en partenariat rapproché avec la Russie.


Les pays qui ont négocié la paix avec Israël sont à l’heure actuelle des pays stabilisés politiquement

Pour Israël également, les enjeux sont forts. Longtemps encerclé par un monde musulman qui avait juré sa perte, le pays n’a que des intérêts à un rapprochement avec l’Arabie Saoudite. Au-delà des partenariats mentionnés plus haut, cette normalisation stabiliserait d’autant plus la région et réduirait les capacités de nuisance du pouvoir iranien. Elle offrirait une architecture de sécurité élargie et pratiquement "finalisée". En effet, les pays qui ont négocié la paix avec Israël sont à l’heure actuelle des pays stabilisés politiquement, émergents économiquement et soutenus par le parapluie américain. Tout le contraire des proxies iraniens : Syrie, Liban, Yemen, Irak, États faillis dont les populations semblent avoir perdu tout espoir. 


UNE PAIX RENDUE IMPOSSIBLE À L'HEURE ACTUELLE


La stratégie de l’attaque « Déluge d’Al-Aqsa » du 7 octobre dernier consistait, entre autres, à remettre en question cet accord de paix imminent. Si on ne peut affirmer que c’est effectivement le cas, les pourparlers sont actuellement gelés. L’entêtement d’Israël à répondre rapidement (notamment pour des raisons politiques évidentes) l’a fait sombrer dans l’obsession de la vengeance. Une vengeance qui aura des conséquences. En répondant de cette manière, Benjamin Netanyahu imagine réduire à néant le Hamas. Impossible, lui répond-on, puisque ses ramifications sont immenses, ses leaders hors de Gaza. Il n’éliminera que des combattants, quelques leaders politiques, en tout cas rien d’irremplaçable pour l’organisation islamiste. Il condamne surtout toute la région à la poussière et au sang, bombarde les civils et contribue à indigner — encore bien timidement certes — ses partenaires tout autant qu’à faire enrager ses ennemis et à créer de nouveaux foyers terroristes.


MBS lui, ne peut plus négocier. À l’heure actuelle, il faut reconnaître que le prince héritier a les mains liés dans ce dossier. Difficile de lui en tenir rigueur. Comment pourrait-il continuer les pourparlers alors que sa population soutient massivement la cause palestinienne ? Certes, la répression ne lui fait pas peur, mais il sait aussi qu’il pourrait lui être difficile de survivre politiquement à une poursuite des négociations, du moins tant qu’Israël continuera d’empiler les victimes palestiniennes. Sa sécurité personnelle pourrait également être mise à mal. L’assassinat du président égyptien Sadate, qui avait conduit la paix avec Israël, reste un événement majeur des relations israelo-arabes, certainement dans les têtes de tous les dirigeants arabes qui envisagent la paix avec Israël.


On peut toutefois imaginer qu’un accord de paix signé entre Israël et l’Arabie Saoudite serait solide et ne devrait pas être remis en question dans les années futures. Mais il ne peut être conclu dans les conditions actuelles, et c’est là toute l’erreur stratégique de Netanyahu, et une victoire pour le Hamas. 


LES CONTRADICTIONS DE NETANYAHU


La conviction féroce que met le Premier Ministre à n’écouter aucun de ses partenaires quant à l’éventualité même d’un trêve risque de geler sur le long terme toute négociation avec l’Arabie Saoudite, du moins, tant qu’il sera au pouvoir. Depuis le 7 octobre, le premier ministre israélien est dit sur la sellette. Mais il apparaît qu’à moins d’un nouvel échec cuisant du point de vue sécuritaire, par exemple dans les tentatives de récupération des derniers otages, il fera tout pour rester en poste jusqu’aux prochaines élections, qui certes pourraient s’avérer fatales, mais ne changeraient pas si lourdement les perspectives sécuritaires tant les partis de gauche, enclins à des négociations de paix, peinent simplement à exister sur le spectre politique. Bien que l’amélioration de la condition des Palestiniens soit — officiellement — une condition à la poursuite des négociations, le statu quo ne remettrait rien en question. C’est bien l’après 7 octobre, plus précisément la réponse militaire israélienne disproportionnée qui bloque. Et le gel des négociations avec l’Arabie Saoudite aura comme conséquence principale de ralentir la formation d’une coalition face à l’Iran, que Netanyahu souhaite de tous ses vœux. C'est un comportement contradictoire d'un dirigeant qui a depuis longtemps perdu toute notion du réel et ne considère pas, à tort, que ses actes vont à l'encontre de ses objectifs.


L’accélération à venir de la colonisation risque de mettre à mal la volonté de contrer l’Iran, qui a déjà un coup d’avance en ayant rouvert la normalisation avec le royaume saoudien

Les négociations en vue d’une normalisation sont difficilement envisageables avec un gouvernement qui refuse tout compromis, agace fortement l’administration américaine en poste et refuse d’écouter le moindre partenaire concernant des pourparlers de trêve, qui permettrait pourtant une libération des otages ou même l’accès des convois humanitaires.


Le visage d’une éventuelle conciliation avec l'Arabie Saoudite tient donc davantage aux urnes, pas seulement en Israël puisque le spectre Donald Trump, tout acquis à la cause de l’État Hébreu, pourrait tenter de peser de tout son poids sur Mohammed Ben Salman. Il lui faudrait alors faire preuve de finesse pour remettre les négociations sur les rails.


LA QUESTION DE L'APRÈS-GUERRE RESTE ENTIÈRE, TOUT AUTANT QUE LE RÔLE DES ÉTATS-UNIS


Si les autorités israéliennes ont assuré ne pas vouloir administrer Gaza après l’atteinte des objectifs — objectifs qui, selon de nombreux spécialistes, s’avèrent inatteignables par ailleurs — la pression mise par les ministres de Netanyahu, Ben-Gvir et Smotrich en tête, pour l’installation de colonies sur le territoire gazaoui pourrait également mettre à mal les tentatives de négociation avec l’Arabie Saoudite. C’est, là encore, toute la contradiction de la politique étrangère du gouvernement d’extrême droite israélien. L’accélération à venir de la colonisation risque de mettre à mal la volonté de contrer l’Iran, qui a déjà un coup d’avance en ayant rouvert la normalisation avec le royaume saoudien, et qui se sert de l'animosité envers Israël pour placer ses pions. Par ricochet, cette stratégie pourrait conduire à rendre le Proche-Orient encore plus dangereux pour Israël qu’il ne l’était il y a encore quelques années. 


Le rôle des États-Unis prend tout son sens dans une année électorale cruciale. À l’heure où nous écrivons ces lignes, il existe toujours trois possibilités. La ligne Trump, conciliante à l’égard d’Israël, sans doute la plus dure à l’égard de l’Iran et qui pourrait donc accélérer un processus de normalisation avec l’Arabie Saoudite. Il faudrait pour cela faire pression sur MBS, ce que Trump verrait comme un challenge à sa hauteur, mais qui ne serait pas gagné d’avance, tant le prince est plutôt sur une ligne proche du « Sud Global » qui consiste à se détacher petit à petit de la mainmise occidentale. Il n’en reste pas moins que les Saoudiens demeurent des alliés de longue date des Américains et que MBS n’essaiera pas non plus de se mettre Trump à dos. Il voudra obtenir des garanties de sécurité auprès d'un allié qu'il accuse de l'avoir laissé tomber face aux Houthis.


Les affaires judiciaires dont Trump fait l’objet pourraient l’empêcher de se présenter. Dans ce cas de figure, Nikki Haley reste une possibilité qu’il ne faut pas négliger.

La ligne Biden est la deuxième possibilité. L’actuel président et son secrétaire d’État multiplient les rencontres pour trouver une solution qui pourrait conduire à un cessez-le-feu humanitaire. Mais pour le moment, Netanyahu n'en a cure. L’administration américaine paye à la fois sa non-proximité avec le gouvernement israélien en place et un soutien sans faille mais parfois ambigu dans ses déclarations. La façon de mettre en garde Israël tout en soutenant officiellement, au sein des instances internationales, la poursuite de la guerre, en lâchant par-ci par-là quelques critiques sur les bombardements aveugles ou l'avancement de la colonisation résonne comme un jeu dangereux, dans un contexte électoral incertain.


La troisième ligne est à ce jour la plus improbable. Il s’agit de la ligne Haley. Dernière candidate face à Trump aux élections primaires républicaines, il apparaît impossible qu’elle batte l’ex-président aux urnes. Cependant, les affaires judiciaires dont Trump fait l’objet pourraient l’empêcher de se présenter. Dans ce cas de figure que nul n’est en mesure de prévoir, elle reste une possibilité qu’il ne faut pas négliger. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que sa ligne de conduite est 100% en faveur d’Israël, de la poursuite de la guerre et de la volonté d’en finir avec le Hamas. Elle a même déclaré récemment qu’il fallait commencer à négocier avec les « pays pro-Hamas » de la région (entendez la Turquie, l'Egypte, la Jordanie) afin qu’ils accueillent les Palestiniens, ou encore que ces derniers n’ont jamais voulu, comme l'Iran, de solution à deux États puisqu’ils « désirent la destruction d’Israël. »


La situation actuelle ne satisfait donc personne et l’absence de stratégie israélienne sur le long terme inquiète tout autant que la stratégie unilatérale à court terme qui promet d’aggraver la sécurité de l’État hébreu dans la région. En réagissant de la sorte, le gouvernement israélien opte pour l’auto-destruction. Un comble pour un état qui, toute son existence, a résisté face à ses ennemis.


Quand à l'Arabie Saoudite, elle reste en situation de stand-by, ce qui peut convenir à MBS qui aura besoin de convaincre sa population, par exemple en continuant son développement économique. L'Iran, à son avantage, devrait continuer à profiter de la situation. Les États-Unis, fébriles, restent liés à un avenir électoral qui pourrait s'avérer explosif.



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