RÉSUMÉ

1. L’ASEAN, avec laquelle l’UE a signé un partenariat stratégique en 2020, occupe une position centrale au sein de la stratégie Indo-Pacifique de l'UE.

2. L'ASEAN, est un partenaire clé pour favoriser la stabilité et la coopération dans la région. Néanmoins, les disparités socio-économiques et politiques entre ses membres peuvent entraver la cohésion et l'efficacité des initiatives.

3. Malgré les objectifs de l'ASEAN en matière de stabilité régionale, l'ascension de la Chine, son principal partenaire commercial, soulève des préoccupations quant à son influence croissante sur la souveraineté de certains États membres, notamment les moins développés économiquement.

4. L'engagement accru de l'UE et de l'Australie avec l'ASEAN dans des domaines tels que la sécurité maritime et les accords de libre-échange peut être interprété comme une réponse nécessaire aux défis régionaux croissants. Cependant, cela soulève également des interrogations quant à la possible dépendance de l'ASEAN à l'égard de ses partenaires extérieurs.

5. Les perceptions changeantes des habitants des pays d'Asie du Sud-Est concernant les grandes puissances mondiales, telles que la montée en popularité de Pékin et le maintien de l'UE en tant qu'option privilégiée, influencent également la dynamique complexe entre l'UE et l'ASEAN.

En résumé, alors que l'ASEAN offre un cadre potentiellement solide pour promouvoir la stabilité et la coopération dans la région, ses défis internes et les tensions géopolitiques croissantes avec la Chine de certains de ses membres, nécessitent une approche critique et équilibrée de la part de ses partenaires extérieurs, y compris de l'UE.

Fig.  : Banque mondiale/ AFP, 

L’Association des nations de l’Asie du Sud Est, 2022.

L’ASEAN, organisation régionale de coopération économique et politique en Asie du Sud-Est avec laquelle l’UE a signé un partenariat stratégique en 2020, occupe une position centrale au sein de la stratégie Indo-Pacifique de l'UE. Fondée en 1967, l'Association réunit aujourd'hui dix États membres (Indonésie, Malaisie, Singapour, Thaïlande, Philippines, Brunei, Vietnam, Laos, Myanmar (Birmanie), et Cambodge), représentant 650 millions d'individus, soit environ 10% de la population mondiale. En tant que cinquième bloc économique mondial, l’Asie du Sud-Est joue un rôle prépondérant dans le commerce international, représentant 8 % des échanges mondiaux, tout en attirant des investissements directs étrangers s'élevant à 15 milliards de dollars. Se caractérisant par des disparités économiques, sociales, politiques, ethniques et religieuses entre ses États membres, son objectif premier est de mettre en place un mécanisme de coopération régionale pour établir une stabilité durable en Asie du Sud-Est. 

L’ASEAN : CARREFOUR STRATÉGIQUE ENTRE GRANDES PUISSANCES 

L’ASEAN occupe une place prépondérante dans le dialogue entre les différentes nations, en ce sens, l’association est une pierre angulaire de l’architecture indopacifique.

La Chine, en tant que principal partenaire économique et commercial de l'ASEAN avec un volume commercial de 684,6 milliards de dollars en 2021, exerce une influence significative grâce à l'Accord de libre-échange ASEAN-Chine (ACFTA) établi en 2010. En 2023, pour la première fois, la Chine a exporté plus vers l'Asie du Sud-Est que vers les États-Unis, indiquant un changement dans le commerce international des biens, alors que les tensions économiques entre Washington et Pékin persistent. En effet, les dix pays de l'ASEAN ont importé des biens chinois d'une valeur de 524 milliards de dollars américains, dépassant ainsi les exportations chinoises vers les États-Unis (500 milliards de dollars américains) et vers l'Union européenne (501 milliards de dollars américains). Cette relation économique étroite donne à Pékin une emprise substantielle sur l'Asie du Sud-Est, tout en suscitant des inquiétudes concernant l'autonomie de certains membres moins développés économiquement, tels que le Laos et le Cambodge. 

De plus, en parallèle à la pandémie de Covid-19, la Chine a consolidé sa position régionale par le biais d'investissements massifs, du renforcement de l'interdépendance économique et de sa montée en puissance militaire, tout en adoptant une attitude inflexible sur les questions territoriales, comme Taïwan et la mer de Chine méridionale.

Néanmoins, malgré les défis potentiels posés par ces initiatives, certaines nations de l'Asie du Sud Est, comme l'Indonésie (première économie de l’ASEAN, et seul pays de l’organisation membre du G20) cherchent activement à maintenir leur position centrale en développant des relations avec plusieurs acteurs régionaux et mondiaux, à l’instar des partenariats stratégiques établis avec divers pays, comme avec la France, démontrant ainsi sa volonté de jouer un rôle influent dans la région. Bien que des initiatives telles que le Quad ou AUKUS puissent remettre en question la centralité de l'ASEAN, l'organisation s'efforce de préserver son rôle en encourageant la coopération et la résolution des conflits. 

Dans cette optique, le renforcement de la coopération entre l'ASEAN et l'Australie illustre les efforts continus de l’organisation pour consolider ses liens et accroître son influence dans la région. La ministre des Affaires étrangères australienne, Penny Wong, a annoncé en mars un financement de 41,8 millions de dollars américains sur une période de quatre ans pour renforcer la sécurité maritime. Au sein de l'organisation, les Philippines sont considérées comme le principal allié de l'Australie dans ce domaine. 

L’UE ET l'ASEAN : CONSTRUIRE DES PONTS ENTRE DEUX RÉGIONS CLÉS

La centralité de l'ASEAN est justement perçue par l’UE comme une force motrice pour forger une coopération plus étroite dans la région. L’UE se positionne comme le troisième partenaire commercial de l'ASEAN, ayant généré des échanges d'une valeur de 189 milliards d'euros au cours de l'année 2020. Elle a établi des accords de libre-échange avec deux membres de l’ASEAN; Singapour (2019) et le Vietnam (2020). Des négociations bilatérales sont déjà engagées avec la Malaisie, la Thaïlande et les Philippines, ouvrant ainsi la voie au resserrement des liens commerciaux avec l'Asie du Sud-Est et à un nouveau renforcement de l'engagement stratégique de l'UE dans cette région en plein essor.

l'UE s'est engagée dans des partenariats pour une transition énergétique équitable, réaffirmant son intérêt pour une coopération régionale soutenue en matière de développement durable.

Elle a également fixé des objectifs ambitieux, envisageant la conclusion à long terme d'un accord de libre-échange avec l'ASEAN, pour lequel un investissement substantiel de 10 milliards d'euros a été alloué dans le cadre de l'initiative "Global Gateway" axée sur l'amélioration des infrastructures et de la connectivité. Cette démarche a été officiellement annoncée lors du Sommet UE-ASEAN en décembre 2022 à Bruxelles célébrant le 45e anniversaire des relations entre l'ASEAN et l'UE, la déclaration conjointe sur la connectivité en 2020 et l'Accord global de transport aérien ASEAN-UE, signé récemment. En parallèle, l'UE s'est engagée dans des partenariats pour une transition énergétique équitable (JETP) avec des pays de l'ASEAN tels que le Viêtnam et l'Indonésie, réaffirmant son intérêt pour une coopération régionale soutenue en matière de développement durable . 

Enfin, lors de la 28e réunion des ministres des transports de l'ASEAN le 17 octobre 2022 à Bali (Indonésie), l'ASEAN et l'UE ont signé un accord global dans le domaine du transport aérien entre leurs États membres respectifs. Cet accord, premier du genre à l'échelle mondiale entre des blocs, renforce la connectivité entre les deux régions en ouvrant de nouvelles opportunités pour les compagnies aériennes.

Sur le plan politique, le Sommet ASEAN-UE de juillet 2023, visant à évaluer les progrès du plan d'action UE-ASEAN pour 2023-2027 et à mettre en œuvre les décisions du premier sommet commémoratif de décembre 2022 à Bruxelles, a été suivi d'une réunion ministérielle de l’ARF à Jakarta. Lors de cette réunion, les chefs de la diplomatie des États-Unis et de l'UE ont exprimé leurs préoccupations face à l'agression russe en Ukraine et ont appelé à l'unité contre les pressions chinoises en Asie-Pacifique . 

Plus tôt cette année s’est tenu le 3ème Forum ministériel indopacifique de l'UE à Bruxelles le 2 février 2024 (le 2ème Forum a eu lieu en février 2022 à Paris). Présidé par Josep Borrell Fontelles, haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, l'événement a rassemblé environ 70 participants des institutions européennes, de ses États membres, des pays indopacifiques et des organisations régionales, de la côte Est de l'Afrique aux États insulaires du Pacifique. Le renforcement du partenariat stratégique UE-ASEAN a été réaffirmé lors de la réunion ministérielle qui s’est tenue parallèlement au Forum. Ses priorités comprennent la défense de l'ordre international fondé sur des règles, la lutte contre le changement climatique, la promotion du développement durable et la gouvernance des océans. L'UE prévoit de continuer à élargir son réseau d'accords de libre-échange dans la région, ainsi que d'étendre l'accord de partenariat économique UE-Pacifique à d'autres partenaires comme l'Australie, l'Indonésie, l'Inde et la Thaïlande. Cette expansion vise à renforcer les liens économiques et la coopération dans la région. Parallèlement, la coopération numérique, notamment avec l'Inde, le Japon, la République de Corée et Singapour, est mise en avant pour renforcer la résilience économique mutuelle.

Les contributions du Japon et de l'Inde, qui ont assurés respectivement la présidence du G7 et du G20 l’année dernière, ont été reconnues comme importantes dans la résolution des problèmes de l'Indo-Pacifique. De même, il a été noté que la présidence de l'Italie et du Brésil en 2024 lors de ces forums offrira d'autres opportunités pour avancer dans les programmes communs. Ces observations sont étayées par le déploiement actuel de Global Gateway dans la région indo-pacifique, contribuant ainsi à tracer la voie à suivre dans les efforts de coopération régionale.

CONCLUSION

La participation de l'UE à ces événements témoigne de son engagement envers la région Asie-Pacifique et de sa volonté de jouer un rôle actif dans la promotion de la coopération régionale. Cependant, basée sur la culture du consensus, incarnée par l'"ASEAN way", l’association privilégie le consensus entre les États membres au lieu de l'établissement rigide de normes et de règles, mais ne permet pas de résoudre les différends. Cette approche, bien que contribuant à l'unité, peut également entraver la résolution des divergences en se concentrant davantage sur des déclarations symboliques que sur des actions concrètes. 

Cette dynamique complexe entre l'UE et l'ASEAN est également influencée par les perceptions changeantes des habitants des pays d'Asie du Sud-Est concernant les grandes puissances mondiales. Selon un récent sondage publié le 2 avril par l’Institut ISEAS-Yusof Ishak, la popularité de Pékin parmi les habitants des pays d’Asie du Sud-Est a augmenté, passant de 38,9 % en 2023 à 50,5 % cette année, devenant ainsi le choix d'alignement préféré dans la région, devant les États-Unis. Néanmoins, l’UE reste une option privilégiée, en particulier au Vietnam (61,5 %) et au Cambodge (45 %). En général, les pays qui sont davantage alignés sur les États-Unis ont tendance à préférer l’UE comme partenaire tiers, démontrant ainsi l'importance continue de celle-ci en tant qu'acteur majeur dans la région.

Sources

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