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Dernière mise à jour : 22 mai





L'élargissement de l'Union Européenne aux pays des Balkans occidentaux apparaît aujourd'hui presque éludée. Avec la guerre en Ukraine s'est posée la question d'une intégration des pays "martyrisés" par une Russie nostalgique de l'ère soviétique, au détriment de ceux de l'ex-Yougoslavie, qui continuent pourtant de panser les plaies d'une guerre au traumatisme toujours présent.


UNE ENTRÉE DEPUIS LONGTEMPS ENVISAGÉE


« Il y a un intérêt géostratégique absolu pour nous, européens, à intégrer les pays des Balkans dans l’Union Européenne. » La phrase est signée Angela Merkel, qui n’avait jamais caché sa volonté d’élargissement.


La question de l’entrée des Balkans occidentaux dans l’Union Européenne n’est pas nouvelle. Les plus anciens états membres considèrent cette région, dont l’appellation définit les pays de l’ex-Yougoslavie sans la Slovénie, mais avec l’Albanie, comme faisant partie du socle européen. La Croatie est pour le moment le seul de ces pays à avoir intégré l’Union, en 2013. Les autres doivent passer par un processus d’intégration qui consiste en toutes les étapes préalables à une entrée au sein de l’Union.


Le Conseil Européen de Thessalonique en 2003 a permis de faire le point sur les réformes entreprises par certains pays des Balkans dans le but d’intégrer l’Union Européenne, après une décennie marquée par les atrocités des guerres de l’ex-Yougoslavie, et alors que la Slovénie s’apprête à être intégrée lors du plus grand élargissement qu’à connu l’Union. Près de vingt ans plus tard, il n’existe toujours pas de date butoir pour l’entrée de ces pays, malgré la volonté réitérée de part et d’autre de finaliser le processus d’intégration.


Alors, en quoi les difficultés du processus d’intégration des Balkans témoignent-t-elles surtout du débat autour d’un élargissement de l’Union Européenne dans un contexte de rapports de force géostratégiques dans la région ?


Malgré une volonté commune presque indiscutable et les nombreuses réformes entreprises par les candidats, ce processus s’éternise, car ces réformes ne parviennent pas à surmonter des difficultés encore incompatibles.

Le débat autour de l’élargissement, dans un contexte européen difficile, est aussi marqué par les crises de la décennie 2010, notamment la difficulté de s’entendre avec certains états membres et celles de la décennie en cours, au-dessus desquelles se trouve l'invasion russe en Ukraine.

Enfin, les enjeux de puissance dans la région expliquent l’intérêt géostratégique de l’entrée des Balkans dans l’UE. Une entrée capable de renforcer l’Union Européenne, ou de la diviser davantage ?


UN PROCESSUS D'INTÉGRATION BLOQUÉ


Venant de prêter serment pour un nouveau mandat, le président serbe Aleksandar Vučić était particulièrement observé quant à sa proximité avec le Kremlin, dans un contexte de tensions extrêmes entre Russie et Union Européenne suite à l’invasion russe en Ukraine. Pour autant, Belgrade n’en démord pas : son objectif premier reste bien d’intégrer l’Union Européenne. Cette volonté s’exprime partout dans les autres pays des Balkans : la confiance envers les institutions européennes y est nettement plus élevée que celle envers les institutions nationales. L’objectif premier des Balkans est d’intégrer le marché unique européen pour booster l’économie, en profitant du principe de libre circulation. Pourtant, malgré des statuts de candidats officiels ou potentiels, et une volonté réciproque, le processus d’intégration n’avance quasiment plus. La faute aux séquelles des tragédies qui se sont produites dans les années 90, sur fond de tensions communautaires, religieuses et dans un contexte de corruption endémique dans certaines régions.


Les candidats ont entamé la mise en œuvre de réformes essentielles à l’acceptation de leur dossier de candidature. L’Union Européenne a fait de certains critères des conditions sine qua none à son élargissement. Dans cette optique, l’Albanie a entamé un « programme de renforcement de l’égalité entre femmes et hommes dans l’accès aux opportunités économiques » soutenu par l’Agence Française de Développement (AFD). Par ailleurs, pour tenter de faciliter le rapprochement, un plan d’investissement européen à hauteur de trente milliards d’euros doit permettre, entres autres, des réformes économiques structurelles ou le respect de l’état de droit. Ces réformes structurelles apparaissent essentielles, surtout dans certains pays comme la Bosnie, toujours sous la tutelle de l’OHR (Office of the High Representative). Mais d’autres problématiques se posent et compliquent le processus d’intégration.


Au-delà de la nécessité de réformer structurellement les institutions internes de chaque pays, l’Union Européenne ne transigera pas sur la stabilité de la région. Alors que la construction européenne s’est bâtie sur une volonté de paix entre les peuples, notamment entre anciens ennemis, il demeure capital que la paix soit assurée au sein des Balkans occidentaux. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. La Bosnie-Herzegovine est toujours en proie à des divisions ethniques et territoriales qui paraissent insurmontables ; le Kosovo n’est reconnu que par 21 des 27 membres de l’UE et 92 des 193 membres de l’ONU et a connu un regain de tensions avec la Serbie ; le Monténégro possède des relations complexes avec son voisin serbe dans un contexte religieux qui pousse au nationalisme identitaire…Enfin, au-delà de ces tensions internes, les accointances de la Serbie avec la Chine et surtout la Russie (nous en reparlerons) risquent de poser des problèmes de loyauté envers les institutions européennes, alors que l’Union a été rudement éprouvée par les crises qui se sont succédées lors de la précédente décennie.

TENSIONS AU SEIN DES MEMBRES DE L'UE


Le processus d’intégration des Balkans au sein de l’Union Européenne s’inscrit en effet dans un contexte de « polycrises » qui n’avait pas été anticipé et faisait suite au grand élargissement de 2004. La crise financière venue des États-Unis, débouchant sur la crise de la zone euro et la crise grecque a largement renforcé les argumentaires des euro-sceptiques, déjà fermement contre toute expansion, particulièrement au sein de pays membres qui sont souvent les plus gros contributeurs. S’ensuivit une crise migratoire importante, avec des flux venant du Moyen-Orient et d’Afrique, exacerbant encore les tensions au sein des membres, et ayant pour résultante une montée impressionnante des populismes d’extrême-droite. Par ailleurs, pour la première fois, un membre a quitté l’Union Européenne. La difficile négociation qui a suivi le vote de retrait de la Grande-Bretagne a traumatisé et déchiré un peu plus une communauté européenne qui n’avait d’union plus que le nom. Il faut pour autant relativiser sur certains points, et notamment celui du Brexit, puisque le Royaume-Uni avait déjà un statut spécial et ne s’est jamais vraiment intégré au projet européen (débats autour de la contribution financière ou de la politique monétaire). Pour autant, ces différentes crises ont révélé d’autres failles que l’Union Européenne cherche à combler, pour garantir la crédibilité de ses institutions face aux montées nationalistes de certains membres.


Aujourd’hui, de réelles tensions entre l’Union Européenne et les gouvernements polonais et hongrois contribuent à affaiblir encore la solidarité entre les états membres. Entre atteintes à la liberté de la presse, non-séparation des pouvoirs ou justice corrompue, la Commission a décidé de taper du poing sur la table. Cette question est relativement importante dans le contexte du processus d’adhésion des Balkans occidentaux. Le rapprochement est d’abord fait entre tous ces pays, qui sont d’anciennes provinces soviétiques. La personnalité de certains dirigeants, comme le président Serbe, très proche de Viktor Orban, inquiète. Les velléités nationalistes en Serbie apparaissent comme un danger de voir à nouveau un pays membre privilégier un droit national incompatible avec le droit européen. Réunis autour des valeurs européennes, la Commission Européenne ne semble pas destinée à se retrouver piégée à nouveau.


Enfin, avant de s’atteler à analyser le contexte stratégique de l’intégration des Balkans à l’Union Européenne, il est nécessaire de mentionner la guerre en Ukraine, événement qui peut faire basculer le processus d’intégration et déterminer le rôle et la stratégie de l’Union Européenne. À l’heure actuelle, alors que le statut de candidat officiel vient d’être donné à l’Ukraine et à la Moldavie, certains ont peur que cela bloque encore l’avancée de la région balkanique. On s’indigne même que, sous le coup de l’émotion et non de la raison, l’Ukraine grille les étapes de l’adhésion, mettant sur la touche des pays qui ont eux aussi connu leur lot de tragédies, et qui ont, nous l’avons vu, entamé une restructuration profonde — et certes encore imparfaite — qui s’avère, au vu des difficultés au sein de l’Union, plus qu’impérative. Pour d’autres, la guerre en Ukraine solde le débat de l’élargissement. Pour contrer les velléités expansionnistes de Vladimir Poutine, la question n’est plus « doit-on s’élargir ? » mais « comment s’élargir ? » Dans tous les cas, une éventuelle adhésion accélérée de l’Ukraine, qui n’a pas entamé les restructurations nécessaires, sonne davantage comme une idée de court-terme, alors que, nous allons le voir, intégrer les Balkans est une question géostratégique primordiale.

UNE RÉGION QUI ATTIRE LES INVESTISSEURS


La région des Balkans occidentaux ne fait pas l’objet d’une attention particulière seulement en Europe. D’autres lorgnent également sur cette portion stratégique, pour des raisons diverses. Ainsi, plusieurs pays ont revu à la hausse leurs ambitions et leur présence stratégique dans les Balkans. Parmi ces États, on retrouve la Turquie, la Chine, la Russie, l’Arabie Saoudite, et l’Iran. Nous l’avons vu, la Chine exerce une influence forte sur la Serbie qui entretient des rapports privilégiés également avec la Russie. La Turquie elle, explique sa présence par l’argument historique et un rôle de protecteur de la communauté musulmane sunnite, notamment en Albanie, en Bosnie et au Monténégro. Sur ce point, elle est mise en concurrence avec l’Arabie Saoudite. Comme le mentionne Kamal Bayramzadeh, « après les guerres de l’ex-Yougoslavie, l’islam politique a émergé dans la région, notamment avec le déclenchement de la guerre en Bosnie-Herzégovine qui a fourni à Ryad une occasion d’investir les lieux par le biais d’une politique d’aide aux forces bosniaques. » Ces luttes d’influence, menées à l’aide de politiques de soft power, renforcent encore l’intérêt stratégique de l’entrée des Balkans dans l’Union Européenne.


Il suffit de regarder les cartes. Géographiquement, les Balkans occidentaux sont encerclés de pays membres de l’UE, qui ne peut se permettre de les laisser aux mains des puissances pré-citées. Derrière son discours de soutien, Angela Merkel ne cachait pas qu’il s’agissait de sa préoccupation première. Les intérêts chinois, turques ou saoudiens sont difficilement compatibles avec les valeurs européennes et une guerre d’influence sur une région au cœur du continent européen bouleverserait une stabilité déjà bien fragile.

ACCÉLÉRER LES RÉFORMES


Intégrer les Balkans revêt donc une importance stratégique primordiale. Bien que les pays se trouvent à des stades de réforme différents, ils constituent un enjeu de paix et de sécurité. En ce sens, leur présence ne peut que renforcer l’Union Européenne et les postions de leurs alliés, États-Unis en tête. Cependant, on ne peut que reconnaître qu’aucun d’entre eux, à l’heure actuelle, n’est prêt à intégrer l’Union Européenne. Mais la promesse faite à l’Ukraine risque à la fois de saper la bonne volonté des gouvernements candidats et d’entacher la crédibilité de l’Union, qui impose d’ordinaire des critères stricts et indiscutables pour satisfaire une adhésion. Si un élargissement se faisait dans ce sens, il n’est pas certain, alors, que l’Union en sorte grandie.


Si l’UE reste officiellement maître de sa politique d’intégration, son rôle la fragilise. Notamment par le biais d’un contraste entre une volonté claire d’élargissement et des attentes qui peuvent sembler utopiques. Les événements en Ukraine, s’ils ont d’abord révélé une solidarité peu commune, tendent à nouveau à faire sombrer l’Union dans une stratégie de court-terme qui peut lui coûter cher. Face à des puissances qui n’accordent que peu d’importance aux valeurs démocratiques, le temps presse. La Commission Européenne doit reprendre la main pour accélérer les réformes. L’élargissement ne doit pas être remis en cause s’il est effectué dans une optique géostratégique de protection, notamment face à la Russie et la Turquie.


Pour aller plus loin :


Élargissement de l’UE : une équation périlleuse ? - Le Dessous des cartes - L’Essentiel | ARTE


Sources :


Agence Française de Développement (AFD), Accompagnement des réformes pour l’égalité des genres en Albanie, disponible sur https://www.afd.fr/fr/actualites/communique-de-presse/albanie-afd-accompagne-reformes-egalite-genre

Andjelka ćup, Serbie - Kosovo : les plaques d'immatriculation de la discorde, euronews, 21 avril 2022, disponible sur https://fr.euronews.com/2022/04/21/serbie-kosovo-les-plaques-d-immatriculation-de-la-discorde


Barthélemy Courmont, Quand la Chine marque sa présence en Serbie, Iris, 11 janvier 2016, disponible sur : https://www.iris-france.org/69299-quand-la-chine-marque-sa-presence-en-serbie/


Jean-Baptiste Chastand, La Serbie, seul pays d’Europe à soutenir massivement la Russie de Poutine, Le Monde, 10 mars 2022, disponible sur : https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/10/sur-fond-de-nationalisme-la-serbie-reste-massivement-prorusse_6116938_3210.html


Kamal Bayramzadeh, La rivalité entre la Turquie et l’Arabie Saoudite dans les Balkans

occidentaux et son impact pour l’Union européenne, Journal of Cross-Regional Dialogues, Février 2021, p129-142, Presses universitaires de Liège




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