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Longtemps, les États-Unis se sont positionnés comme les champions de la liberté religieuse. Considérant que le droit de chaque individu de choisir sa propre religion dérivait automatiquement des droits humains, ils en ont fait une marque de leur identité, qu’ils ont parfaitement su lier à leurs propres intérêts. Cela s’est parfois retourné contre eux et a nui à leur image internationale. Pourtant, face à l’autoritarisme qui entoure les pratiques religieuses dans certains pays, les outils dont ils se sont dotés leur permettent aujourd’hui de se placer à nouveau comme le patron de la diplomatie religieuse.


L’Histoire des États-Unis ne peut être écartée de la dimension religieuse. La construction même de la nation s’est effectuée à la suite de persécutions religieuses. Difficile, pourtant, dans ses premières années, de parler de liberté religieuse tant l’immigration puritaine consiste en une légendaire intolérance. L’immigration américaine est d’abord la conséquence de l’existence d’un sanctuaire religieux avant de devenir un idéal économique. S’ajoute à cette dimension la conviction profonde que la population américaine est bénie de Dieu. Un exceptionnalisme consacré dans les textes fondateurs de la jeune nation, au premier rang desquels se trouve la Constitution. L’Amérique, longtemps une terre promise pour les Protestants, devient celle de tous les croyants. Les besoins de main-d’oeuvre et la ruée vers l’ouest renforcent alors cette notion d’exceptionnalisme, caractéristique de l’identité et de l’expérience américaines. La supériorité du modèle américain va dès lors se définir en opposition à celui des vieilles nations européennes, dont les nationalismes perdurent et maltraitent encore certaines confessions.


LA GUERRE FROIDE MET LA DIPLOMATIE RELIGIEUSE AU PREMIER PLAN


La Guerre Froide va matérialiser la volonté de la nation américaine de se positionner en leader mondial de la défense de la liberté religieuse. L’affrontement idéologique des deux blocs se joue sur tous les tableaux, dont le religieux ne fait pas exception. Le Gouvernement Fédéral prend à bras le corps la défense des persécutés religieux dans le monde entier, par acquis idéologique, mais surtout par intérêt.


Les événements géopolitiques marquants de la Guerre Froide possèdent une dimension religieuse que les États-Unis intègrent dans leur lutte contre le communisme. Ainsi, la prise de pouvoir par les communistes en Chine va mettre en relief les persécutions des chrétiens dans le pays, ce qui contribuera, entre autres, à ralentir considérablement la reconnaissance de la République Populaire par les Nations Unies, et donc sa place en tant que membre permanent du Conseil de Sécurité. Dans le même ordre d’idée, la Guerre de Corée participe à l’implantation de la chrétienté au Sud, favorisant même l’installation et l’émancipation de sectes, dont la plus célèbre, la secte Moon, s’exporte au Japon au début des années 60. En Afghanistan, lors de l’intervention militaire soviétique de 1979, le soutien militaire et financier des États-Unis aux diverses factions moudjahidines est estimé, sur les dix années qu’ont durées la guerre, à environ 2,44 milliards de dollars, une aide considérable qui aura consolidé un nombre important de groupuscules en lutte contre l’influence soviétique, mais également contre d’autres groupes afghans. Ce soutien en dollars, considéré comme indispensable par Washington, conduit à renforcer le djihadisme et la menace terroriste, notamment celle qui frappe les États-Unis le 11 septembre 2001.


la liberté religieuse comme droit de l’Homme fut largement un outil d’argumentation moral servant à la fois à étendre l'influence américaine et à réduire celle de son adversaire soviétique. 

La volonté américaine de soutenir et de promouvoir la liberté religieuse dans le monde découle du fait qu’il existe un lien fort entre cette défense et celle des droits de l’Homme. L’institutionnalisation des relations internationales aura marqué le XXème siècle avec une volonté commune d’avancer vers la paix, particulièrement après les horreurs de la Seconde Guerre Mondiale. Depuis ses origines jusqu’à la création (sous son influence) d’une véritable architecture de coopération internationale, la nation américaine a donc cherché à établir une diplomatie qui se focalisait aussi sur la liberté religieuse comme droit de l’Homme, bien que celle-ci, parfois baptisée « diplomatie spirituelle », fut largement un outil d’argumentation moral servant à la fois à étendre son influence et à réduire celle de son adversaire soviétique. 


En prime, le pays a parfois fait l’erreur de diminuer la portée du contexte religieux dans la conduite d’une politique étrangère agressive. À titre d'exemple, lorsque la révolution éclate en Iran, les États-Unis ont sous-estimé la puissance d’une tradition religieuse profondément ancrée dans la société. Au Vietnam aussi, le Congrès et le Gouvernement Américains ont pu fait preuve d’une certaine « indifférence » vis-à-vis du fait religieux, dans une société où le bouddhisme vietnamien est alors considéré comme une religion nationale. Quand le gouvernement de Saïgon, soutenu par les américains, opprime les moines et engage une répression féroce à leur égard, il va sans dire que cela attise le ressentiment et la haine qui sévissent déjà envers leurs alliés. Enfin, l’aide considérable fournie à Israël depuis les années 70-80 sous l’impulsion des groupes évangéliques, au détriment des droits et des libertés de la population palestinienne continue, aujourd’hui encore, de mettre à mal l’image des États-Unis.



APRÈS LA "MYOPIE LAÏQUE", LE RENOUVEAU DE LA DIPLOMATIE RELIGIEUSE



En 1998, sous l’impulsion de groupes chrétiens révoltés par les persécutions religieuses au Soudan, le Congrès vote à l’unanimité l’International Religious Freedom Act (IRFA), issu d’une initiative de l’administration Clinton, qui établit annuellement un rapport sur l’état de la liberté religieuse dans le monde. Un moyen de remettre le fait religieux sur la table diplomatique, alors que, depuis la chute de l'URSS, on exhorte les diplomates à ne pas s'en emparer.

Après le 11 septembre 2001, le président George W. Bush comprit les enjeux d’une diplomatie publique dirigée vers le Moyen-Orient. Sa diplomatie consiste alors à communiquer sur les valeurs qui font des États-Unis un pays attrayant pour tous. Elle s’est définie par l’apport d’un soft-power puissant, symbolisé par la culture, le sport, l’art mais dans le cas spécifique du Moyen-Orient, par la mise en avant de la liberté de culte dont jouissent les musulmans américains.


Dans sa démarche de défense des intérêts nationaux et de sécurité nationale, dans une nouvelle conception du leadership né de sa destinée manifeste, et face à l’incommensurable force religieuse qui pèse sur les questions intérieures, il semble bien qu’aucune administration fédérale, quelle qu’elle soit, ne peut s’affranchir des questions religieuses qui émaillent la scène internationale. Si les diplomates américains s’en sont longtemps inquiété, la problématique du premier amendement de la Constitution ne semble pas constituer en outre un obstacle insurmontable, la justice ayant apporté que peu de réponses concrètes sur la question. 


Au delà de son apport à la défense des droits de l’Homme, l’IRFA a donc permis de renforcer le soft power des États-Unis en démontrant leur attachement à des valeurs universelles et en fortifiant une crédibilité morale mise à mal par les opérations militaires, notamment au Moyen-Orient. À travers cette loi, ils se posent en défenseurs de la liberté religieuse, gagnent en influence auprès des populations et des organisations religieuses à travers le monde et redéfinissent le dialogue religieux, par une approche sensiblement différente de la promotion des valeurs américaines à coups de millions de dollars. 


L'International Religious Freedom Act (IRFA) de 1998 est, par conséquent, assez largement saluée comme une initiative importante visant à promouvoir la liberté religieuse dans le cadre de la diplomatie américaine. Toutefois, cette législation suscite également une remise en questions quant à son efficacité, son application sélective et son impact sur la scène internationale. Les accusations d’ingérence sont également nombreuses.


UN MOYEN DE LUTTER CONTRE LES RÉGIMES AUTORITAIRES ?


Le clivage fort qui règne entre démocrates et républicains sur de nombreux sujets internes comme externes ne semble pas, pour l’instant en tout cas, scinder la question de la liberté religieuse

La défense des intérêts étasuniens et la liberté religieuse constituent un socle remarquable pour le Congrès, héraut de la politique étrangère américaine. Ses deux chambres, le Sénat et la Chambre des Représentants, sont depuis le début du XXIème siècle le marqueur de ce que certains ont appelé les « États désunis d’Amérique. » Le clivage fort qui règne entre démocrates et républicains sur de nombreux sujets internes comme externes ne semble pas, pour l’instant en tout cas, scinder la question de la liberté religieuse. Parce qu’elle est prépondérante dans la vie des citoyens, parce qu’elle est liée à la fondation même de la nation, elle représente un pouvoir non-négligeable pour la conduite d’une nouvelle diplomatie face à celle des adversaires des États-Unis, Chine et Russie en tête.


Dans les territoires occupés du Dombass et de Zaporijjia, il n'y a plus de prêtres catholiques, et l'Église greco-catholique y est désormais interdite.

En Russie, la cartographie de la persécution religieuse est à mettre en lien avec l’invasion de l’Ukraine lancée en février 2022. L’Église Orthodoxe sert de relais à l’État pour unifier la nation autour du pouvoir et si, officiellement, les autres confessions sont respectées, leurs missionnaires sont régulièrement inquiétés, notamment par une loi anti-terroriste présentée à la Douma en 2016. Dans les territoires occupés du Dombass et de Zaporijjia, il n'y a plus de prêtres catholiques, et l'Église greco-catholique y est désormais interdite. En Chine, les persécutions contre les Ouïghours ou contre les Catholiques marquent l’autoritarisme « athée » du Gouvernement de la République Populaire.


Dans la sphère complexe de la diplomatie américaine, l'aspect religieux a donc gagné en importance ces dernières décennies, et représente à la fois un axe de l’exceptionnalisme américain, un outil de soft power et un possible terrain d’entente entre les deux principaux partis politiques. Dans ce contexte, les organisations non gouvernementales confessionnelles jouent un rôle significatif dans sa consolidation au sein de la diplomatie américaine, en exploitant les liens entre acteurs religieux, afin de promouvoir la paix et la stabilité. En tant qu'acteurs indépendants, elles ont une capacité à transcender les frontières politiques et culturelles grâce à un réseau religieux mondial. Mais c’est surtout leur engagement dans des projets humanitaires, de développement et de résolution des conflits qui permet aux États-Unis de projeter un soft power positif en mettant en avant des valeurs universelles.


QUELLE PLACE POUR LA LIBERTÉ RELIGIEUSE AU SEIN DE L'APPAREIL DIPLOMATIQUE ?


Le Gouvernement Américain possède un arsenal conséquent et inégalé lui permettant d’incorporer le domaine religieux dans sa diplomatie. Cet arsenal, considérablement renforcé depuis quelques années désormais, entre en considération dans l’objectif de la politique étrangère des États-Unis. Sous la présidence de Joe Biden, lumière a été mise sur la volonté de mener le monde démocratique, sans considération pour les différences économiques. Car, face à la montée en puissance de la Chine, obsession première des différentes administrations américaines, le 46ème président a fait part de sa volonté de faire front en regroupant derrière lui les pays qui rejoignent les aspirations et les valeurs américaines. Il ne veut pas d’une démarcation « occident contre reste du monde » mais bien « axe des démocraties contre autocraties ». Défendre les droits de l’Homme et donc le droit à la liberté de culte pourrait s’avérer une aide déterminante dans cette démarche. 


La diplomatie américaine doit nécessairement se présenter comme un « tout » qui ne peut occulter certains éléments qui pourraient la composer, au risque de la dérégler.

Cette restructuration des alliances voulue par Joe Biden s’inscrit dans une forme de réponse à la négation de la démocratie dans certains pays. Si celle-ci n’a pas attendu le XXIème pour vaciller, la nouveauté réside dans le fait d’une version narrative qui « officialise » son déclin. Ainsi, si la Chine et la Russie ont décidé de modifier l’ordre mondial, entendant par là la fin de l’hégémonie américaine, ce n’est pas en orientant leur politique vers plus de démocratie, mais au contraire en élargissant le contrôle des populations, en renforçant les outils sécuritaires, et en mettant fin à la dominance du dollar dans l’économie mondiale. En ce sens, la diplomatie américaine doit nécessairement se présenter comme un « tout » qui ne peut occulter certains éléments qui pourraient la composer, au risque de la dérégler.


La dimension religieuse des questions internationales s’intègre parfaitement dans la mondialisation. Longtemps, les spécialistes ont cru qu’elle s’effacerait au profit d’une interdépendance plus forte, de la mixité sociale et du mélange des cultures. Il n’en a rien été. La mondialisation a largement facilité un paysage religieux plus mixte, qui s’est renforcé avec le jeu international. Le 11 septembre 2001 est venu marquer avec brutalité la fin de « l’illusion unipolaire », dans laquelle les États-Unis domineraient la voie de la démocratie. Une démocratie qu’ils tentèrent parfois d’importer de la manière la plus âpre qui soit. Or, cette approche n’aura eu pour effet que d’alimenter un anti-américanisme déjà fort et parfaitement incompris à Washington.

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