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Dernière mise à jour : 1 déc. 2023








« Traité de paix historique » pour les uns, « trahison méprisable » pour les autres, les accords dits d’Abraham, signés en septembre 2020 entre les Etats-Unis, Israël, Bahreïn et les Émirats Arabes Unis ont déchaîné les passions sans apparaître comme un élément de rupture géopolitique majeur. Pourquoi ?


DES ACCORDS HISTORIQUES ?


Le 15 septembre 2020, à Washington, sous le parrainage de Donald Trump, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu rend officiel la normalisation de son pays avec deux pétro-monarchies du Golfe, les Emirats Arabes Unis et Bahreïn. Un triomphe politique qui n’est pas une surprise (la signature était annoncée depuis quelques semaines) mais tient davantage du symbole.


D’abord, le nom choisi pour ces accords est évocateur. Le choix d’Abraham est retenu car il consacre les croyances des trois religions monothéistes, en cohabitation au Moyen-Orient, faisant donc la part belle à une vision « réaliste » de la région.


À l’approche des élections présidentielles américaines, cette signature constitue une victoire pour Donald Trump, qui annonce dans la foulée que « cinq ou six pays arabes pourraient s’y joindre dans les mois à venir. » À ce jour, seuls le Soudan et le Maroc ont rejoint le rang des pays musulmans normalisant leurs relations avec Israël. La normalisation de relations diplomatiques entre Israël et des pays arabes évoque forcément le conflit israelo-palestinien, principale cause de solidarité entre les peuples arabes. Or, à la suite des accords d’Oslo, ce conflit se trouve dans une impasse. Pire : tout espoir de négociation semble définitivement rompu. En réalité, la nouvelle grande inquiétude dans la région porte un autre nom : la République Islamique d’Iran. Il semble que l’hégémonie iranienne ait participé à conduire à cette normalisation.


En quoi les accords d’Abraham marquent-il une suite logique des relations entre les signataires plutôt qu’un accord historique, la confirmation d’une défection de la cause palestinienne, et consacrent finalement la mise en place d’alliances visant à contrer l’hégémonie iranienne au Moyen-Orient ?


Les accords n'apparaissent, en effet, que comme l’officialisation symbolique d’une normalisation implicite, entamée avec de précédents accords, notamment car une coopération à plusieurs niveaux existait déjà entre ces pays. Leur signature contribue surtout à y intégrer le contexte américain.


Alors, quelles conséquences pour ces accords d'Abraham ? La cause palestinienne ? En déclin confirmé et accéléré par la dramatique invasion américaine en Irak et la peur de l’émancipation des peuples exprimée lors des printemps arabes. Le but premier de cette normalisation : contenir l’hégémonie iranienne, devenue la nouvelle grande cause des dirigeants sunnites, soumis aux négociations de l’accord sur le nucléaire iranien, et peut-être sur le point de former un axe israelo-sunnite.


PAS DE RUPTURE GÉOPOLITIQUE


Bien que la normalisation de relations diplomatiques, économiques, commerciales entre Israël et plusieurs pays arabes peut paraître historique, la signature des accords d’Abraham ne marque pas une rupture dans la géopolitique du Moyen-Orient. D’abord parce que les Émirats Arabes Unis et Bahreïn ne sont pas les premiers pays de la région à signer de tels accords, et donc à reconnaître l’existence et la souveraineté d’Israël. Le 17 septembre 1978, déjà sous médiation américaine, le pays signe les accords de Camp David, normalisant ses relations avec l’Egypte, avant de signer un traité de paix. La Jordanie est le second pays à normaliser ses relations avec Israel en 1994 avec les accords de Wadi Araba. La signature de ces traités engageait alors une voie que les accords d’Abraham prolongent, ou plutôt officialisent.


En effet, si le retour sur la scène diplomatique de tels traités a pris presque trente ans, Israël noue avec les Emirats un relationnel commercial, technologique, militaire et diplomatique depuis le milieu des années 2000. Les deux pays ont participé à des exercices militaires en commun en Grèce en 2018. L’épidémie de Covid-19 a renforcé une coopération entre quatre entreprises scientifiques (deux de chaque nationalités). Une aide humanitaire a été acheminée pour les Palestiniens par les Emiratis en collaboration avec les autorités israéliennes. À cette occasion, un vol Ethiad Airways a atterri pour la première fois en Israel. Enfin, dans le domaine diplomatique, on peut citer plusieurs exemples, de la visite du ministre israélien des communications à l’exposition universelle de Dubaï en passant par Grand Chelem de Judo d’Abu Dhabi, où l’on a pu entendre résonner l’hymne israélien pour la première fois.


De cette officialisation symbolique, il ne faut pas omettre l’importance du contexte américain. À la manœuvre en tant que médiatrice, l’administration Trump souhaitait à tout prix signer ces accords avant les élections présidentielles. Vendue comme l’une de ses plus grandes victoires, la signatures des traités d’Abraham, jusque dans le choix de son nom se voulait une réussite là où les administrations précédentes avaient échoué. Donald Trump se rêvait en sauveur du Moyen-Orient, ce qu’aucun président n’a encore réussi à être. George W. Bush avait semé le chaos avec son invasion et Barack Obama s’était cassé les dents sur cet héritage empoisonné, jusqu’à se désengager en Syrie et dans toute la région, préférant se tourner vers l’Asie. En prime, ces accords permettent de faire oublier l’échec du « deal du siècle », destiné à mettre fin au conflit israélo-palestinien.


LA CAUSE PALESTINIENNE : GRANDE OUBLIÉE ?

La signature des accords d’Abraham s’apparente, pour les défenseurs de la cause palestinienne, à une trahison historique. Le premier argument est que cette normalisation enterre définitivement l’initiative de paix arabe, ou Plan Abdallah, porté en 1992, qui promettait la reconnaissance d’Israël par toute la région (à l’exception de l’Irak et de la Libye) en échange de la résolution du conflit. Alors que ce dernier représentait la cause solidaire des peuples arabes, on ne peut que constater son délitement au fur et à mesure des années. Pourtant, là encore, ce ne sont pas les accords d’Abraham qui enterrent l’espoir palestinien. Le processus a été déclenché bien plus tôt, notamment dès la signature des accords d’Oslo. Si la symbolique renforcée par les américains a pu faire effet, force est de constater que plusieurs éléments promettaient un effondrement du processus de paix : la façon dont la droite nationaliste israélienne a saboté sa mise en place, l’impartialité des différentes administrations américaines, la corruption au sein de l’Autorité Palestinienne…Mais la cause palestinienne a également perdu de son intérêt pour d’autres raisons.

L’invasion menée en 2003 par l’administration de George W. Bush en Irak a eu des conséquences désastreuses et rebattu les cartes au Moyen-Orient. Elle a engendré l’État Islamique et mis à mal la sécurité même de ses alliés. Surtout, l’erreur stratégique qu’a été la débaasification a provoqué un effet d’aubaine pour les milices chiites soutenues par l’Iran. L’intensification de la présence iranienne au Moyen-Orient est devenue, pour Israël, Bahreïn, les Émirats Arabes Unis et les États-Unis, le premier sujet d’inquiétude, reléguant la cause palestinienne loin derrière. Car l’Iran s’est nourrie de la guerre provoquée unilatéralement par les américains, mais également des autres conflits, engendrés par les velléités démocratiques des printemps arabes.


Les soulèvements qui ont eu lieu sont également à mettre en corrélation avec la mise en retrait du processus de paix israélo-palestinien. En effet, nous l’avons vu lorsque ces événements ont eu lieu à Bahreïn, les velléités démocratiques des populations sont une hantise des dirigeants des pétro-monarchies. Les émeutes bahreïniennes ont été matées par une répression féroce et Manama, comme Abu Dhabi, souhaite désormais s’en préserver. Cette particularité s’accompagne d’une nouvelle vision réaliste, autour de laquelle les espoirs palestiniens sont de moins en moins visibles. Enfin, là encore, alors que les soulèvements populaires, comme nous l’avons vu, ont permis à l’Iran de se positionner dans la région, la relation entre les signataires des accords d’Abraham se nourrit surtout d’un axe sécuritaire commun visant à contenir le plus grand ennemi des peuples sunnites et juifs, la République Islamique d’Iran.

L'IRAN : LE GRAND SATAN


En réalité, les accords d’Abraham visent à contrer la grandissante hégémonie iranienne. Nous l’avons vu, tout converge vers la nécessité d’enterrer les espoirs iraniens de grandir et de s’installer durablement dans la région. Cela confirme que la normalisation des relations entre Israel et des pays arabes est la suite logique des événements qui se sont déroulés depuis le début des années 2000. Contenir l’Iran est la nouvelle grande cause de la région et la « préoccupation centrale des États signataires des accords d’Abraham. » Ce n’est d’ailleurs par une surprise de constater que les signataires, rejoints par l’Egypte, ont décidé de signer un accord de coopération militaire inédit pour contrer les velléités iraniennes. Le Sommet du Néguev, véritable « volet militaire des accords d’Abraham » a entériné l’alliance anti-Iran, confirmée par Yaïr Lapid, alors chef de la diplomatie israélienne. « Nous écrivons ici l’histoire, bâtissons une nouvelle architecture basée sur le progrès, la technologie, la tolérance religieuse, la sécurité et le renseignement […] Cela intimide, dissuade nos ennemis communs, en premier lieu l’Iran. »


Avec les accords d’Abraham, les signataires espèrent surtout infléchir la position américaine sur le nucléaire iranien. Farouchement contre tout accord qui aurait pour conséquence la levées des sanctions contre l’Iran, ils ont dans l’idée de faire changer d’avis l’administration Biden, qui ne parvient pas à finaliser le JCPoA (Joint Comprehensive Plan of Action), après que Donald Trump en est sorti de façon unilatéral. Les paroles du président iranien, Ebrahim Raïssi, à la dernière Assemblée Générale de l'ONU ("les armes nucléaires n'ont pas leur place dans notre doctrine") n'auront rassuré personne. Difficile d'y croire en effet, alors que la République Islamique apparaît totalement isolée dans la région.

Pour autant, peut-on, à travers la signature des accords d’Abraham, parler de la formation d’un axe israelo-sunnite ? Comme ce fut le cas après les accords de Camp David et de Wadi Araba, il est présomptueux de s’attendre à une normalisation collective des relations entre les pays arabes et Israël. Malgré les promesses de Donald Trump de voir suivre bon nombre d’autres pays, il faudra certainement attendre plusieurs décennies avant que ce ne soit le cas, et ce, même si des rapprochements ont eu lieu, par exemple avec l’Arabie Saoudite. D’abord parce que l’Iran possède des moyens d’influence qui semblent plus efficaces et ne ferme pas non plus la porte à des coopérations stratégiques. Par ailleurs, si les accords ont mentionné la nécessité de travailler ensemble à une solution négociée pour parvenir à la paix avec le peuple palestinien, cela ne semble toujours pas à l’agenda diplomatique des signataires, ce qui risque de se retourner contre Israël. Enfin, la forte coopération face à l’ennemi iranien évoque surtout « une initiative calculée qui ne vise qu’à offrir des avantages à court terme pour les trois parties concernées ».


Les accords d’Abraham sont une opportunité unique de montrer que la reconnaissance d’Israël dans la région se fera au compte-goutte, et surtout par le biais d’intérêts communs, certainement pas à travers la symbolique religieuse que les administrations américaines — pour qui le processus de paix israélo-palestinien, bien qu’en bout de course, reste politiquement viable — ont bien souhaité leur donner.


Pour aller plus loin :


Israël-Palestine : quelle solution ? - Une Leçon de géopolitique #37- Le Dessous des cartes ARTE


Lire les excellents articles du site Orient XXI


Sources :

Defens’Aero, Iniochios 2018 : un exercice international majeur dans le sud de la Grèce, 29 mars 2018 disponible sur http://defens-aero.com/2018/03/iniochos-2018-exercice-international-sud-grece.html

Le Figaro, Virus: Israël annonce une «coopération» scientifique avec les Emirats, 26 juin 2020 disponible sur https://www.lefigaro.fr/flash-actu/virus-israel-annonce-une-cooperation-scientifique-avec-les-emirats-20200625

Le Point, Un premier vol siglé Etihad Airways se pose en Israël, chargé d'aide pour les Palestiniens, 9 juin 2020 disponible sur https://www.lepoint.fr/monde/un-premier-vol-sigle-etihad-airways-se-pose-en-israel-charge-d-aide-pour-les-palestiniens-09-06-2020-2379199_24.php

France Info, L'hymne israélien résonne pour la première fois à Abou Dhabi lors d'un tournoi de judo, 28/10/2018, disponible sur https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/l-hymne-israelien-resonne-pour-la-premiere-fois-a-abou-dhabi-lors-d-un-tournoi-de-judo_3007911.html

Yaïr Lapid, Discours, Sommet du Neguev, 28 et 29 mars 2022

Hicham Alaoui, Israël-Émirats. Ni trahison ni accord historique, Orient XXI, 1er septembre 2020 disponible sur : https://orientxxi.info/magazine/israel-emirats-ni-trahison-ni-accord-historique,4088



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