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Dernière mise à jour : 1 déc. 2023




Vladimir Poutine a prononcé son traditionnel discours sur l'état de la nation Russe. Celui-ci intervient à trois jours du premier anniversaire de l'invasion en Ukraine. Teintant son propos d'arguments connus et résolument offensif, il a ensuite dévié sur des paroles d'une absurdité absolue. Analyse.


Vladimir Poutine n'aura pas pris le temps de tourner autour du pot. Devant un parterre acquis à sa cause, le président russe s'est d'emblée montré très agressif. Il a commencé son discours par une nouvelle justification de son "Opération Militaire Spéciale", terme teinté de ridicule dont la frontière avec celui de "Guerre" ne semble finalement pas si éloignée que ne le dit le Kremlin. Un an après avoir franchi la frontière ukrainienne, pas besoin d'aller chercher bien loin les responsables. Il s'agit bien des "occidentaux", terme qui regroupe principalement l'Europe (au sens large) sous la domination américaine. Poutine a d'abord souhaité mettre en avant sa bonne foi en prétextant avoir "tout fait" pour résoudre le conflit de manière pacifique. Une Russie "prête au dialogue" alors que l'OTAN continuait de s'élargir. La rhétorique, depuis le début du conflit, est toujours la même. Les éléments de langage, repris par les membres du gouvernements, de la Douma, ou par les ambassadeurs sur les chaînes d'information des pays occidentaux sont toujours les mêmes. Le Président Russe en a profité pour citer en exemple de sa bonne foi les deux propositions faites à l'organisation atlantique en décembre 2021, soit deux mois avant le début des hostilités. Les deux textes, intitulés « Traité entre les Etats-Unis et la Fédération de Russie sur les garanties de sécurité » et « Accord sur les mesures pour assurer la sécurité de la Fédération de Russie et des Etats membres » de l’OTAN devaient faire l'objet de négociations avec les États-Unis, mais ces derniers ont refusé de les entamer de façon unilatérale. Pour Poutine, "arracher l'Ukraine à la Russie est depuis longtemps un rêve des occidentaux." En réalité, à ses yeux, l'Ukraine fait partie de la Sainte Russie, du monde russe (Russkij mir) au sens de celui que devraient former Russes, Biélorusses et Ukrainiens. Il est donc inconcevable pour lui de voir l'Ukraine tomber dans la décadence occidentale. La présence au premier rang du Patriarche de l'Église Orthodoxe de Moscou, Kirill, fervent défenseur du concept, en est le symbole parfait. Un argument qui vaut bien plus que le supposé rapprochement de l'OTAN aux frontières. En effet, l'adhésion des pays baltes et de la Finlande n'ont clairement pas la même portée pour Poutine lorsqu'il pourrait s'agir des deux "pays frères."

Arguments difficilement réfutables cependant, le récent passé interventionniste des pays occidentaux ne plaident malheureusement pas en leur faveur. Les longues, coûteuses, et inutiles guerres lancées par les Etats-Unis et les Européens, parfois au mépris du droit international, ont dévasté et déstabilisé des régions entières, renforcé l'insécurité et les inégalités, et donné des arguments indéniables à ceux qui, aujourd'hui, tentent eux aussi d'accroître leur puissance sur la scène internationale par la manière forte. Ainsi, la Syrie, l'Afghanistan et surtout l'Irak et la Libye sont des piqueurs de rappels que les Russes n'omettent jamais. Ce fut, après de courtes mais intenses minutes, la fin d'un argumentaire qui pourrait ouvrir débats et négociations. Ce ne fut plus le cas par la suite, car si dans cette première partie de discours, nous restions dans les éléments classiques des arguments soutenus par le chef du Kremlin depuis des années, la suite a largement dérivé vers l'insensé.


LA RUSSOPHOBIE COMME "BASE DU SYSTÈME OCCIDENTAL"


Vladimir Poutine a enchainé en amplifiant largement la partie victimaire de son discours, la volonté féroce des occidentaux qui n'ont comme but premier de voir la Russie détruite faisant de lui le défenseur d'une patrie jalousée et farouchement prise à partie. Ce projet d'anti-Russie, difficile d'imaginer qu'il y croit lui-même. Mais cela demeure un argument essentiel de sa propagande. Il a fustigé l'alliance et le soutien des occidentaux au régime ukrainien, dont les chars seraient affublés de symboles nazis. Cela paraît d'une énormité flagrante d'un point de vue occidental, alors que les télévisions du monde entier accompagnent des régiments ukrainiens et qu'aucun symbole faisant l'apologie du nazisme n'a été aperçu. Du point de vue Russe, cela peut paraître tout à fait plausible. Mais comment les occidentaux pourrait-il justifier un tel soutien après avoir combattu la barbarie nazie ? "Ils s'en foutent, répond Poutine, l'important, c'est de combattre la Russie." Le propos peut paraître désorienté, mais Poutine est coutumier du fait (rappelons-nous du fameux "nous irons buter les terroristes jusque dans les chiottes.") L'analyse du président Russe est celle du miroir. L'inversion des rôles est totale. "Nous n'utilisons la force que pour arrêter cette guerre." "Nous ne faisons pas la guerre au peuple ukrainien."

Ces éléments de langage sont à rapprocher des plus grands dictateurs tribuns. Car la suite est tout aussi folle. S'attaquant à l'idéologie occidentale, Poutine a pris pour exemple le mariage entre personnes de même sexe pour fustiger la décadence de l'Occident et la nécessité de protéger les enfants russes. Un propos qui trouve ses relais dans les factions d'extrême-droite des pays du monde entier. Cette position radicale et illégale d'un point de vue du droit international trouve sa racine dans l'aspect religieux. Il justifie cet aspect en précisant que toutes les religions du monde considèrent que l'alliance entre un homme et une femme est la seule qui prévaut. Les citations sont toutes plus abjectes que les autres. Les "élites occidentales ont sombré dans la démence", il faut défendre les enfants face à la "dégénérescence" en Occident où la "pédophilie est devenue la norme."

Reste à savoir si cette propagande trouve son écho dans la société russe. Les élites (membres du gouvernement, de l'église, haut-gradés) qui se trouvaient dans l'auditoire ont tous semblé apprécier le discours de leur chef mais ils sont directement bénéficiaires de la politique corrompue du Kremlin. Il est donc important de mettre en avant les cibles de ce discours. S'agissant d'une adresse à la nation, le peuple Russe en est donc le premier bénéficiaire. Dans un pays où la censure et la désinformation règnent, il est aisé d'imaginer qu'une bonne partie de la société adhère à cette propagande. Cela n'empêche pas de constater les faits. Aujourd'hui, plusieurs milliers de Russes ont quitté le pays en un an. Les peuples occidentaux eux, "trompés par leurs dictateurs", n'ont pourtant pas fait le chemin inverse.

Poutine sait également que ce discours allait être particulièrement suivi à l'étranger, et notamment dans les pays adversaires. Il a donc fait preuve de détermination pour annoncer sans surprise que la Russie allait continuer son "Opération Spéciale" en Ukraine et que le pays ne pouvait être vaincu sur le champ de bataille. Là encore, les faits ne lui donnent pas raison, alors que l'armée Russe continue de subir de nombreuses pertes tout en gagnant un minimum de terrain. Pourtant, pas un mot sur ces difficultés, sur la perte de Kherson et même l'impossibilité des forces de revendiquer une victoire significative depuis l'été dernier et la prise de Marioupol.


L'ANNONCE DE LOURDS INVESTISSEMENTS


Son objectif de rassemblement réalisé, le président Russe a ensuite présenté les postes de dépenses visant à améliorer l'appareil militaire et l'économie russes. Fustigeant de nouveau les occidentaux ("ils n'ont rien réussi à obtenir grâce aux sanctions, si ce n'est la chute de leurs propres économies"), il souhaite moderniser les infrastructures et renforcer son plan de reconstitution des forces armées 2021-2025 à l'aide d'un fonds destinés à soutenir les familles touchées par la guerre, améliorer la qualité des forces armées ("déjà supérieures") et développer des commandes militaires, le tout en se "basant sur l'expérience de l'Opération Spéciale."

Il a défendu son bilan économique en chiffrant une baisse de PIB de 2,1% quand les occidentaux "prévoyait un effondrement", annoncé vouloir lancer un système monétaire indépendant du dollar, et s'est félicité de voir partir certaines entreprises occidentales, laissant derrière elle de profondes failles économiques et structurelles. Il annoncé vouloir moderniser les voies ferrées et les routes et a promis des réductions d'impôts aux entreprises qui se lanceraient dans des projets d'intelligence artificielle ou de technologies à l'aide de matériel russe. Côté relations internationales, il entend se rapprocher encore davantage de l'Iran, du Pakistan et de la Chine. Il ne s'est pourtant pas attardé sur cet élément, preuve que les relations avec ces pays sont avant tout stratégiques, mais ne ressemblent en rien à de vraies alliances.

Ces annonces en grande pompe prouvent que Poutine compte fortement sur les exportations d'hydrocarbures et de produits alimentaires qui ont empêché le pays de sombrer dans la récession. Cependant, là encore, on peut parier qu'il s'agit d'éléments de langage destinés à rassembler derrière lui ses concitoyens. Ce n'est pas chose ardue tant l'auditoire profite directement des bénéfices de la rente pétrolière et gazière et tandis que la population n'a de toute façon pas la possibilité d'entrevoir une quelconque alternative politique. La tendance européenne visant à s'affranchir des hydrocarbures russes n'aura pas immédiatement les effets escomptés, et même si la Russie trouvera d'autres clients pour écouler ses stocks, elle en subira sans doute les conséquences au niveau économique.


Vladimir Poutine, tout au long de son discours, est resté sans surprise, dans la droite ligne affichée depuis le lancement de son "Opération Spéciale". Après un an de guerre, il a pu parfois apparaître en manque de repères, par exemple lorsqu'il a, à plusieurs reprises, modifié le commandement sur le terrain, ou encore élaboré une stratégie complètement différente de celle de départ, à savoir faire tomber le régime de Kiev. Tenant des propos parfois hors sol pour un chef d'état, il n'est pas allé cette fois jusqu'à s'aventurer sur le refrain de la menace nucléaire, même s'il a annoncé suspendre sa participation à l'accord New Start sur le désarment nucléaire. C'est surtout l'hostilité à l'Occident qui aura marqué cette prise de parole, une hostilité qui l'a souvent caractérisé mais qui n'aura jamais atteint un tel niveau. C'est finalement sa position de victime éternelle qui reste la plus dangereuse, car elle l'a fait entrer dans une paranoïa qu'il souhaite voir se propager à la population. Si cette dernière pourrait éventuellement tenir entre ses mains l'avenir du conflit, cela semble pourtant bien loin d'arriver tant elle est muselée.


Les jours, les semaines, les mois et les années à venir s'annoncent bien difficiles pour les relations entre les deux blocs, mais ce n'est rien à côté de ce qu'endurent les Ukrainiens.

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