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En 2018, lors des Jeux Olympiques de PyeongChang, le monde a été témoin d'un moment historique empreint d'espoir et d'émotion : les délégations de la Corée du Nord et de la Corée du Sud défilant ensemble sous une seule bannière. Cet événement marquait une rare opportunité de réconciliation dans une région longtemps marquée par la division et les conflits. L'image du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un franchissant la ligne de démarcation pour rencontrer son homologue sud-coréen Moon Jae-in avait renforcé les attentes d'une ère de paix et de coopération.


Depuis, pourtant, les relations entre les deux Corées sont au plus mal. Les discours belliqueux, l'envoi de ballons de détritus, les menaces explicites et les démonstrations de force militaire sont devenus le quotidien d'une péninsule coréenne de nouveau en proie aux tensions. Les espoirs de paix semblent aujourd'hui bien loin, remplacés par une escalade de provocations qui inquiète la communauté internationale.

Que s'est-il passé pour que la situation se détériore à ce point ? Quels sont les facteurs sous-jacents qui alimentent ces tensions ? Quels sont les scénarios possibles pour l'avenir de la péninsule ? Ces questions interpellent et tenter d’y répondre conduit la communauté internationale à une grandissante incertitude.


DE L'ESPOIR À LA DÉSILLUSION : LES RELATIONS INTER-CORÉENNES DEPUIS 2018


Au détour de 2018, après les Jeux Olympiques, qui ont servi de catalyseur pour des gestes symboliques de paix et de coopération entre les deux Corées, puis la rencontre entre leurs deux dirigeants, des accords ont été signés, notamment un accord militaire le 19 septembre 2018 visant à réduire les tensions et à prévenir les conflits accidentels. Cet accord comprenait des mesures telles que l'établissement de zones tampons en mer et d'exclusion aérienne, ainsi que la cessation des exercices militaires à munitions réelles le long de la zone démilitarisée.


Avec l'élection du président conservateur Yoon Suk-yeol en mai 2022, la politique de Séoul envers Pyongyang a changé de manière significative. Contrairement à son prédécesseur progressiste, Moon Jae-in, qui avait favorisé l'apaisement et le dialogue, Yoon Suk-yeol a adopté une position beaucoup plus ferme et conditionnelle vis-à-vis de la Corée du Nord. Lors de son discours d’investiture, il a conditionné une aide à la relance de l’économie au Nord à une dénucléarisation complète. Par conséquent, le nouveau président a plaidé pour un renforcement de la dissuasion militaire, en particulier par un rapprochement accru avec les États-Unis. Il a également affirmé que des frappes préventives pourraient être nécessaires pour contrer les nouveaux missiles hypersoniques de la Corée du Nord s'ils semblaient prêts à être lancés de manière imminente. En août 2022, il a rétabli les exercices militaires conjoints avec les États-Unis, qui étaient suspendus depuis l’accord de 2018. Les manœuvres, baptisées « Ulchi Freedom Shield », présentées comme défensives, actent l’échec des négociations avec le Nord.



Le 22 novembre 2022, la Corée du Nord met officiellement fin à l’accord de 2018 après des semaines de tensions. En février 2023, le Sud définit le Nord comme un « ennemi » dans son livre blanc de la défense. En janvier 2024, Kim-Jong-un prononce un discours (dont le sujet principale est la situation économique du pays) devant les députés du parti, dans lequel il prévient qu’il est prêt à la guerre, et que celle-ci « détruira terriblement l'entité appelée la République de Corée et mettra fin à son existence. Et elle infligera une défaite écrasante inimaginable aux États-Unis. » Le 4 juin 2024, le Sud annonce que le pays « reprendra toutes les activités militaires près de la Ligne de démarcation militaire (MDL) et des îles frontalières du nord-ouest suite à la suspension complète de l'accord militaire de 2018 destiné à réduire les tensions intercoréennes », ajoutant que « toutes les responsabilités incombent entièrement au régime nord-coréen, et si le Nord tente une provocation supplémentaire, notre armée ripostera sévèrement en se basant sur une posture de défense combinée ferme entre la Corée du Sud et les États-Unis. » Les États-Unis, eux, soutiennent largement la position de la Corée du Sud.


Le dirigeant nord-coréen reste profondément marqué par le sort réservé à Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi, arguant que si ces derniers avaient disposé du pouvoir nucléaire, ils seraient toujours en vie, et au pouvoir.

Initialement prometteuses, les négociations entre Kim Jong-un et Donald Trump se sont heurtées à une impasse lors de leur deuxième sommet à Hanoï en février 2019, chacune des parties se rejetant la faute de l’échec. L’absence d'accord sur la dénucléarisation et la levée des sanctions a conduit à un retour des tensions. Kim Jong-un a déclaré que la Corée du Nord ne renoncerait jamais à son arsenal nucléaire, réaffirmant que celui-ci n'était pas négociable. Ce dernier considère que cet arsenal constitue l’assurance-vie de son régime. Le dirigeant nord-coréen reste profondément marqué par le sort réservé à Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi, arguant que si ces derniers avaient disposé du pouvoir nucléaire, ils seraient toujours en vie, et au pouvoir. Par ailleurs, la doctrine du « juche », élaborée par Kim Il-sung et toujours célébrée aujourd'hui par le régime dans les écoles et les administrations, prône une autonomie indispensable du pays et affirme qu'il doit être capable de déterminer seul ses destinées politiques, économiques et militaires.


MOTIVATIONS ET STRATAGÈMES DIVERS


À l’intérieur du pays le plus fermé du monde, Kim Jong-un utilise également la menace extérieure comme un outil afin de maintenir un contrôle sur sa population et justifier les mesures strictes du régime. La rhétorique belliqueuse et les démonstrations de force servent à renforcer la légitimité du régime en montrant qu'il est prêt à défendre la nation à tout prix. La Corée du Nord perçoit les exercices militaires conjoints entre la Corée du Sud, les États-Unis et le Japon comme des provocations directes, le dirigeant dénonçant, toujours dans son discours de janvier, « les remarques fréquentes des autorités américaines sur la "fin de notre régime", les vastes actifs stratégiques nucléaires stationnés dans la zone périphérique de la RPDC presque toute l'année, les exercices de guerre incessants avec leurs suiveurs organisés à grande échelle, le lien militaire entre le Japon et la République de Corée renforcé sous l'instigation des États-Unis… ». Ces manœuvres, souvent décrites par Pyongyang comme des préparations à une invasion, justifient à ses yeux la nécessité de montrer sa capacité de riposte. Les tests de missiles et autres démonstrations militaires sont donc aussi une réponse calculée aux actions des voisins du sud et de leurs alliés. En accentuant les tensions militaires, Kim Jong-un cherche à unir la population autour d'un ennemi commun et à justifier les priorités du régime en matière de dépenses militaires.




Pour les États-Unis et la Corée du Sud, les exercices militaires conjoints et les déclarations de fermeté visent à rassurer leurs alliés dans la région et à démontrer leur détermination à défendre leurs intérêts et ceux de leurs partenaires. Le renforcement des liens militaires avec le Japon et l'intégration de nouveaux systèmes de défense antimissile illustrent cette stratégie de dissuasion renforcée. Les alliés ont mené, au cours de l’exercice 2023, pas moins de quarante-deux exercices militaires conjoints, tous ayant pour but d’anticiper un affrontement avec le Nord. Les États-Unis ont constamment insisté sur la dénucléarisation de la Corée du Nord comme condition préalable à toute négociation significative, une position inflexible qui conduit aujourd’hui à une impasse diplomatique. Les sanctions économiques et les exercices militaires font partie des moyens utilisés pour exercer une pression continue sur Pyongyang, qui les considère donc comme une agression. Un sentiment qui s’est donc aggravé à la prise de pouvoir de Yoon Suk-yeol, qui a adopté une politique de fermeté, considérablement belliqueuse au regard de la nature du régime nord-coréen, refusant les compromis sans garanties sur la dénucléarisation nord-coréenne. 


La paralysie du Conseil de sécurité des Nations unies, en raison des divergences entre ses membres permanents, permet à Pyongyang de poursuivre ses programmes militaires sans craindre de nouvelles sanctions internationales immédiates.

Quant à la stratégie américaine dans la péninsule coréenne, elle reste également influencée par la volonté de contenir l'influence croissante de la Chine dans la région. En maintenant une présence militaire forte en Corée du Sud et en renforçant les alliances trilatérales avec Séoul et Tokyo, Washington cherche à limiter l'expansion géopolitique chinoise et à garantir un équilibre des pouvoirs favorable à leurs intérêts. La guerre en Ukraine et les tensions croissantes entre les grandes puissances, notamment entre les États-Unis et la Chine, renforcent les dissensions sur la péninsule coréenne et la Corée du Nord utilise ce contexte global d'instabilité pour renforcer ses positions et tenter d'obtenir des concessions. La paralysie du Conseil de sécurité des Nations unies, en raison des divergences entre ses membres permanents, permet à Pyongyang de poursuivre ses programmes militaires sans craindre de nouvelles sanctions internationales immédiates.


La Chine et la Russie jouent également des rôles cruciaux dans la dynamique de la péninsule coréenne, agissant d’abord comme les principaux soutiens économiques et politiques de la Corée du Nord. Pékin, en particulier, reste le principal partenaire commercial de Pyongyang, fournissant une aide économique indispensable, notamment en période de sanctions internationales. Moscou, de son côté, offre un soutien politique et diplomatique en s'opposant aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies visant à sanctionner la Corée du Nord. Les deux puissances ont à plusieurs reprises utilisé leur droit de veto au Conseil de sécurité pour bloquer des sanctions plus sévères contre la Corée du Nord. En mai 2022, par exemple, la Chine et la Russie ont mis leur veto à une résolution visant à sanctionner Pyongyang pour ses essais balistiques. La Russie a même déposé un véto au mois de mars 2024 au renouvellement du mandat du groupe d’experts assistant le Comité des sanctions contre la République Populaire.


La Russie, confrontée à de fortes tensions avec l'Occident, voit en la Corée du Nord un allié stratégique pour contrer l'influence américaine en Asie, renforcée dans la continuité de leur « pivot vers l’Asie » initié par Barack Obama à la suite des déroutes au Proche-Orient, avec une présence militaire substantielle en Corée du Sud et des alliances stratégiques avec Séoul et Tokyo. Pour la Chine, la stabilité de la Corée du Nord est essentielle pour éviter une crise humanitaire à sa frontière et maintenir un État tampon entre elle et les forces militaires américaines stationnées en Corée du Sud. La rivalité stratégique entre ces deux superpuissances se manifeste par un soutien accru à leurs alliés respectifs dans la région. Les États-Unis renforcent leurs alliances avec la Corée du Sud et le Japon, tandis que la Chine continue de soutenir la Corée du Nord, une rivalité qui contribue à l'instabilité et complique la recherche de solutions diplomatiques.


SCÉNARIOS FUTURS ET PERSPECTIVES POUR LA PÉNINSULE CORÉENNE


Scénario de conflit


L'escalade des tensions militaires entre les deux Corées, accentuée par les démonstrations de force et les discours belliqueux, augmente considérablement le risque de conflit. Le jeu géopolitique faisant souvent état des tendances, la mutation d’une escalade conduisant à un conflit militaire semble aujourd’hui la plus probable. Les incidents frontaliers, les exercices militaires conjoints des États-Unis et de la Corée du Sud, ainsi que les tests de missiles nord-coréens pourraient mener à des accidents ou à des provocations involontaires, déclenchant alors cette confrontation militaire directe.


Un conflit armé dans la péninsule coréenne aurait des conséquences dévastatrices non seulement pour les deux Corées mais aussi pour la région asiatique et le monde entier. Les pays voisins, comme le Japon et la Chine, seraient directement affectés, et les implications économiques et humanitaires seraient énormes. De plus, un conflit risquerait d’entraîner une intervention militaire des États-Unis et de leurs alliés, conduisant potentiellement à une guerre à grande échelle impliquant plusieurs puissances nucléaires. Alors que les relations entre occidentaux et russes sont au plus bas, on imagine mal à quel point cet éventuel conflit pourrait dégénérer, surtout si celui qui a cours en Ukraine demeure. Une déstabilisation de la Corée du Nord pourrait entraîner des crises humanitaires majeures, avec des flux massifs de réfugiés vers la Chine et la Corée du Sud. Dans cette optique, une chute du régime nord-coréen, si elle semble peu probable, pourrait également créer un vide de pouvoir dangereux, favorisant des conflits internes et une possible intervention militaire étrangère destinée sécuriser les armes nucléaires.





Scénario de désescalade


Dans un scénario actuellement difficile à imaginer, les deux Corées et leurs alliés pourraient trouver des moyens de désamorcer les tensions et de reprendre le dialogue. Cela nécessiterait des mesures de confiance réciproques, telles que la réduction des exercices militaires, l'arrêt des provocations et la réouverture des canaux de communication. Les initiatives diplomatiques pourraient inclure des rencontres bilatérales et trilatérales avec la médiation de puissances tierces comme la Chine ou la Russie, mais là encore, les tensions entre les grandes puissances agissent comme des catalyseurs d’affrontements, davantage que de paix. Des efforts de médiation internationale, soutenus par des garanties de sécurité et des incitations économiques, pourraient pourtant encourager Pyongyang et Séoul à revenir à la table des négociations. Mais chaque partie devra faire des compromis. La personnalité et la politique du président sud-coréen empêchent ces compromis, mais la lourde défaite qu’il vient de subir aux dernières élections législatives pourrait changer la donne, puisque le parti démocrate de l’ancien président a conforté sa majorité. La communauté internationale doit également travailler à la levée progressive des sanctions en échange de concessions vérifiables de la part de la Corée du Nord.


Le renforcement de la coopération régionale en matière de sécurité et de développement économique pourrait également contribuer à la désescalade des tensions. Des projets communs dans des domaines tels que l'énergie, les infrastructures et la gestion des ressources naturelles pourraient créer des incitations économiques pour la paix. De plus, la mise en place de mécanismes de sécurité collective régionaux, impliquant les deux Corées, la Chine, le Japon et les États-Unis, pourrait aider à stabiliser la région.


Scénarios mixtes


Un scénario intermédiaire pourrait voir des conflits limités ou des escarmouches sporadiques suivis de négociations sous pression internationale. Ces affrontements pourraient servir de catalyseurs pour des pourparlers de paix plus sérieux, sous la médiation de la communauté internationale. Un autre scénario plausible est le maintien du statu quo, où les tensions restent élevées mais sont gérées par des engagements diplomatiques et des mesures de contrôle des armements. Bien que la paix complète ne soit pas atteinte, ce scénario permettrait d'éviter un conflit majeur tout en laissant la porte ouverte à de futures négociations.


Perspectives à long terme


À long terme, la vision idéale pour la péninsule coréenne serait bien évidemment une dénucléarisation complète de la Corée du Nord, accompagnée de la normalisation des relations entre Pyongyang et Séoul. Cela impliquerait un traité de paix formel mettant fin à la guerre de Corée, la levée des sanctions économiques et l'intégration de la Corée du Nord dans la communauté internationale. Mais nous l’avons vu, la problématique réside dans l’idée qu’aux yeux de Kim-Jong un, disposer d’un arsenal nucléaire reste son seul moyen de survie.


L’autre objectif à long terme reste la réunification pacifique des deux Corées. Bien que cela semble actuellement improbable, des efforts constants pour promouvoir la coopération, la compréhension mutuelle et les échanges culturels pourraient progressivement rapprocher les deux nations. Une réunification réussie nécessiterait un soutien international massif et une planification minutieuse pour gérer les disparités économiques et sociales entre le Nord et le Sud. Cette réunification fait d’ailleurs partie intégrante de l’idéologie nord-coréenne, et ne peut, malgré les dires de son dirigeant suprême, être définitivement enterrée.


La paix entre les deux Corées n’est pas pour demain. Mais dans la péninsule, seuls les Hommes ont le pouvoir de réguler les aspirations belliqueuses. Malheureusement, les influences étrangères, notamment russes et américaines, peuvent s’avérer lourdes de conséquences, ces derniers ayant d’abord en ligne de mire leurs propres intérêts. Indubitablement, la Chine peut s’avérer une puissance de médiation, mais elle risque de se fourvoyer par son obsession à voir se réduire l’influence américaine, comme par son animosité envers le Japon. Le moyen le plus efficace pour arriver à la paix semble être celui d’un Sud désireux de s’avancer vers la paix et de s’affranchir des tutelles internationales pour reprendre des négociations, car le Nord ne s’avancera pas vers la réunification s’il y voit un danger.


Pour les uns comme pour les autres, celui-ci est permanent.


Photos : @creasyl

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